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Dans l’assiette, à la Bigarrade : canard, anguille, crème d’échalote de Christophe Pelé ; sous la table : amour naissant, boussole cassée, et perte du nord Magnétique (décembre 2011).

Pourquoi prend-on nos assiettes en photo ?

Manger ensemble
Une contribution de Michaël V. Dandrieux
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Pas un jour sur Internet sans qu'un kaffir, de l'épeautre ou un hochepot de lapin ne nous porte l'eau à la bouche. Pratique issue de la démocratisation de l’appareil photo, la publication d’images de plats sur Internet bénéficie aussi de la levée de pudeur des réseaux sociaux : il y a sûrement, dans nos amis, quelqu’un qui s’intéresse à ce que nous mangeons. Petit arrangement avec le temps qui passe et grand partage qui se joue des géographies, dans chaque crème brûlée se cache aussi le projet secret d’être avalé par le Réseau.
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D’ une grâce publique et indifférente, qui ne nous est ni reprise, ni ne nous a été donnée, faire un bronze éternel ; d’une providence oblique de la lumière, faire un trésor intime. Voilà toute l’entreprise du photographe mémorieux qui embarrasse, appesantit de richesses magiques et de son amour les épisodes indifférents de la quotidienneté. Petits moments qui vivent, meurent et renaissent, comme le phénix renaît “d’un rien, de la cendre d’une plume, de la sonorité de sa dernière syllabe”.

“Tout est impermanent, rien n’existe à perpétuité, tout change de seconde en seconde”, disait CartierBresson. Les occasions sont nombreuses qui nous donnent conscience de cela, en notre chair, savoir que s’échappe tout ce que l’on a possédé, si tant est que quoi que ce soit ne nous ait jamais appartenu. Apprentissage continu du départ, la photographie est un des petits arrangements que l’on peut faire avec le temps qui passe, elle qui préserve, trouve et retient, quand l’histoire d’un homme est peut-être moins la liste patiente des images qu’il su garder que la chronique des choses qu’il a laissé partir, d’elles-mêmes, de ce qu’on a su ne pas retenir.

“L’amour ne s’accumule pas, il se dépense”

Il y a une eschatologie du repas : la sébaste refroidit, la crème chiboust humecte la pâte à choux, L’espuma se retire, la surface du vin s’oxygène, et c’est tout le contrepoint aromatique qui fuit.

Le repas est de ces choses. Le numéro des Cahiers dont le lecteur tourne les pages en donne mille exemples, et souvent raconte comme il y a “petite mort” au diner : jeu d’échelle, monde dans le monde, auquel on nait, dont on participe et qui s’achève, le repas offre aussi le ravissement de partager, d’abord avec la tablée, et maintenant (grâce aux réseaux sociaux) plus loin, par des géographies diverses, la scène rejouée d’un rite qui commence, vit et s’achève. Il y a une eschatologie du repas : la sébaste refroidit, la crème chiboust humecte la pâte à choux, L’espuma se retire, la surface du vin s’oxygène, et c’est tout le contrepoint aromatique qui fuit. Il faut participer à la vie des restaurateurs, des vignerons, des passeurs de vin, des producteurs de poulet et d’oeufs : cueillir des orchidées sauvages dans les vignes cadurciennes, y saisir le bonheur de la terre, poser sa main sur les amphores qui gardent le jus, descendre dans les caves comme à l’église monolithe de Saint-Emilion, boire le vin des vignes de l’oubli et les passerillages qui concentrent l’été, partager la liqueur de Suze d’entre-deux-guerres, la Tarragone de 1904 que le plancher a prémuni des Allemands, cueillir des truffes près des Apenins dans les Abruzzes, sur des tables de cinquante, manger de la saucisse, du beurre et du fromage en regardant dans les yeux ceux qui les ont élevés, recevoir des paysans de la Loire et des tauliers des quartiers chics de la ville, un plat ou un vin dont ils se considèrent l’égal. C’est un honneur et un don. Alors la suspicion que tant de beauté ne peut pas être détenue par un seul réveille les envies de partage : l’amour ne s’accumule pas, dit Michel Maffesoli, il se dépense.

Témoigner à l’histoire, multiplier aux quatre vents

René Redžepi, qui est le cuisinier du Noma, un restaurant plusieurs fois présenté comme le meilleur au monde, raconte comment les odeurs du soleil sur le goudron, de l’humidité sur les jonquilles, sont dans notre nez et dans notre gorge quand nous nous asseyons pour manger.

Il ne serait pas injuste de dire que les logiques personnelles qui se cachent derrière chaque photo de plat, publiée dans le troupeau vertigineux de ses semblables sur Facebook, Pinterest, Tumblr, Intragram, rabibochent des petits morceaux d’égo et de construction identitaire : “j’étais à tel lieu à la mode”, ou “je connais désormais le projet de tel chef ”, “j’ai bu de tel vin” — où l’on retrouve les attentions portées à la constitution du trésor, à la mémoire et au temps. “Avoir fait”, “en avoir été”, “pouvoir en parler”,“témoigner” et “transmettre” l’image, la photographie d’un moment, pris dans un sommeil d’acier. La photographie du repas est cela, et aussi autre chose : elle dit où l’on est maintenant, avec elle on ne partage pas le plat, mais l’honneur et le don de le recevoir apprêté, “dressé” à la fin unique qu’on le désordonne puis qu’on l’avale. Le plat tout juste posé sur la table est le point d’orgue du cycle de la vie, la seule chose qu’il nous reste est de le voir périr, dans la joie de l’ingestion. Table qui donne sa place au mangeur dans l’ordre des choses, entre le produit qu’il chassait et termine dans l’assiette et les dévoreurs de monde dont nous éveillons l’appétit. Publier une photo de ce moment, le juste-avant, c’est partager cet épisode de la bouche, des besoins du corps et de la crudité, qui est à la fois intime et commun. Rendre public la fin d’une chose, l’histoire d’une disparition, par un acte concret et individuel. Mais surtout perpétuer fantastiquement la certitude que le corps multiple du social ne mourra pas.

René Redžepi, qui est le cuisinier du Noma, un restaurant plusieurs fois présenté comme le meilleur au monde, raconte comment les odeurs du soleil sur le goudron, de l’humidité sur les jonquilles, sont dans notre nez et dans notre gorge quand nous nous asseyons pour manger. Il explique qu’en marchant dans la ville, les variations des saisons et les opportunités du climat ont écrit pour nous le début du repas, qu’on ne peut pas servir toujours la même chose en entrée, car le repas a déjà commencé alors que nous nous attablons, et sera encore lorsque nous quitterons la table. Nous avec lui, nous nous perpétuons en envoyant sur le réseau ce plat qui attend, et qui deviendra une part de nous-mêmes. A celui qui est attentif, le visage futur de l’expéditeur s’anagramme dans chaque pluma, dans chaque dindon, et dans chaque ris d’agneau de l’Internet.

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    Michaël V. Dandrieux, directeur éditorial des Cahiers, est co-fondateur de l’institut d’études Eranos, où il fait de la sociologie de l’imaginaire, chercheur associé au Ceaq (Sorbonne) et directeur du Lab de l'agence Hands. Il pratique le développement collaboratif sur Github, la cuisine de l’Escoffier, la photographie argentique, la clef des songes et le vin nature. En 2014, il a parcouru 135 231km en avion à la recherche des différences et des continuités du monde. En 2015 il a réduit son bilan carbone de 6 tonnes, en partie grâce au vélo.
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  • Français

    Les Cahiers de l'Imaginaire sont une revue de sciences humaines fondée en 1988 par Gilbert Durand et Michel Maffesoli.

    Les thèmes qui s'y sont succédés depuis sont dans toutes les têtes. Le corps, les socialités mystérieuses, les révélations politiques, les îles et la divinité continue, l'algèbre secrète des rêves, les formes infatigables du quotidien et de la fiction, les époques et leurs magies contradictoires, la fête et l'âme composent ces pages précieuses.

    Les Cahiers européens de l'Imaginaire perpétuent ces idées : trouver les mots les moins faux pour dire les imaginaires contemporains, porter et peupler nos mythologies tout à la fois, et donner à la curiosité de chacun la langue de l'autre, pour accompagner les mouvements de vie de l'Europe.

  • Italiano

    Les Cahiers de l'Imaginaire sono una rivista di scienze umane e sociali fondata da Gilbert Durand e Michel Maffesoli nel 1988.

    I temi da allora trattati risuonano sonoramente nel nostro pensiero: il corpo, l'attrazione sociale, le rivelazioni politiche, le isole immaginarie, le divinità, l'alchimia dei sogni, le forme torrenziali del quotidiano e della finzione, le magiche contraddizioni della storia e le multiple festività che marcano il nostro tempo popolano le preziose pagine della rivista.

    Les Cahiers européens de l'Imaginaire tentano e si dilettano a trovare le parole meno false possibile per nominare gli immaginari contemporanei, a decriptare le mitologie emergenti nella vita quotidiana e a porre in relazione le lingue e le culture presenti nel vecchio continente accompagnandone le trame e il vissuto.

  • Castellano

    Les Cahiers de l'Imaginaire son una revista de ciencias humanas fundada en 1988 por Gilbert Durand y Michel Maffesoli.

    Los temas que sucedieron su fundación están en todos los pensamientos. El cuerpo, las socialidades misteriosas, las revelaciones políticas, las islas y la continua divinidad, el algebra secreta de los sueños, las formas infatigables del cotidiano y de la ficción, las épocas y sus magias contradictorias, la fiesta y el alma, componen sus preciadas paginas.

    Les Cahiers européens de l'Imaginaire perpetúan esas ideas: encontrar las más adecuada de las palabras para expresar los imaginarios contemporáneos, al mismo tiempo que llevar y poblar nuestras mitologías, y dar a la curiosidad de cada uno de nosotros la lengua del otro, acompañando así los movimientos de vida en Europa.

  • English

    Les Cahiers de l'imaginaire is a social science review, founded in 1988 by Gilbert Durand and Michel Maffesoli.

    It explores the varied meanings within and beyond the body, mysterious social systems, political revelations, the isolated and continuous divinities. The secret algebra of dreams, the inexhaustible forms of the mundane and the fictitious, the ages and their contradictory magic, the festival and the soul are the stuff that fill its precious pages.

    Les Cahiers européens de l'Imaginaire perpetuates these ideas: finding the least false words to describe the contemporary imagination, sustaining and populating our mythologies, sharing our respective languages with each-other, in concert with the movements of the living Europe.

  • Portuguès

    Les Cahiers de l'Imaginaire é uma revista de ciências humanas fundada em 1988 por Gilbert Durand e Michel Maffesoli.

    Desde sua fundação, são abordados temas de diversos campos do pensamento. O corpo, as relações sociais misteriosas, as revelações políticas, as divindades isoladas e contínuas, a álgebra secreta dos sonhos, as incansáveis formas do quotidiano e da ficção, as diversas épocas e respectivas magias contraditórias, a festa e a alma fazem parte de suas preciosas páginas.

    Les Cahiers européens de l'Imaginaire perpetuam tais idéias: encontrar as melhores palavras para expressar os imaginários contemporâneos, ao mesmo tempo em que suporta e povoa nossas mitologias, e oferece à curiosidade de cada um a palavra do outro para acompanhar, assim, os movimentos de vida da Europa.

  • Deutsch

    Les Cahiers de l'Imaginaire ist eine sozialwissenschaftliche Revue, gegründet 1988 von Gilbert Durand und Michel Maffesoli.

    Sie adressiert Themen, die sich in allen Köpfen wiederfinden. Der Körper, mysteriöse soziale Systeme, politische Enthüllungen, isolierte und kontinuierliche Göttlichkeit, die geheime Algebra der Träume, die unerschöpflichen Formen des Alltäglichen und des Fiktiven, die verschiedenen Zeitalter und ihre widerspruchsvolle Magie, das Fest und die Seele füllen ihre wertvollen Seiten.

    Les Cahiers européens de l'Imaginaire führen diese Ideen fort: die treffendsten Worte zu finden, um das zeitgenössisch Imaginäre zu beschreiben, unsere Mythologien gleichzeitig zu erhalten und zu nähren, und unsere verschiedenen Sprachen miteinander zu teilen, im Gleichschritt mit dem Puls des europäischen Lebens.

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