Vincenzo Susca

Vincenzo Susca, directeur éditorial des Cahiers, est Maître de conférences en sociologie à l’université Paul-Valéry de Montpellier, chercheur associé au Ceaq (Sorbonne) et McLuhan Fellow à l’Université de Toronto. Il est l’auteur de À l’ombre de Berlusconi (Milan 2004, Paris 2006), Ai confini dell’immaginario (Milan 2006, Porto Alegre 2006), Joie Tragique (Milan 2010, Paris 2011, Barcelone 2012), Transpolitica (Milan 2008, avec D. de Kerckhove) et Récréations (Milan 2008, Paris 2009, avec C. Bardainne). Il est l’auteur, avec Alain Béhar, de la pièce théâtrale Angelus Novissimus (2014) et a été le curateur, avec Claudia Attimonelli, des expositions de Madame (2014) et Karin Andersen à la Traffic Gallery de Bergame. Ses derniers ouvrages sont Les affinités connectives (Paris 2016) et Pornoculture (Milan 2016, Paris 2016, Porto Alegre 2016, avec C. Attimonelli).
Vincenzo a publié dans Les Cahiers
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Quoi qu’amer à admettre, Daech a préparé les attentats de janvier et novembre 2015 avec une lucidité surprenante, en ciblant le cœur pulsant de notre culture. À bien des égards, on est en face d’un conflit asymétrique entre deux avant-gardes dont une, stricto sensu, est équipée d’armes et animée par une stratégie de pouvoir, et l’autre – qu’on a appelé « la génération Bataclan » – ne songe pas à la guerre et ne vise pas à gouverner le monde. Néanmoins, elle est là, loin d'être impuissante…
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Tu crois quoi ?
Je suis là-bas, le bas, le rat. Regarde-moi, toi, rat, bas.
Je te vois. Tu es à moi. Ça ne te plait pas ? -
Avec Ray Caesar, l’humain a depuis longtemps
franchi le seuil de sa propre catastrophe. Seuls demeurent les anges. Anges ? -
Parce que l’amour nous pare toutes d’un masque de chienne.
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“Le temps est fini, mon ange. Ta montre ne signale que l’espace.
Le temps, c’est la marche. L’espace, c’est la danse. Nous
sommes la montre qui danse l’espace". -
“J’adore danser en danger dans des interstices précaires”, Angelus Novissimus.
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Ma petite Joséphine,
C’est moi, ton parrain Vincenzo, qui t’écrit. Peut-être un jour réussiras-tu, toi, à scander mon nom en prononçant le z comme il convient à sa provenance linguistique… Je t’écris une lettre sur l’amour et non une lettre d’amour – je laisse cela à tes futurs prétendants. Tu es née il
y a peu : que peux-tu me dire de l’amour à l’âge de six mois, toi qui t’exprimes avec la langue du sourire, des larmes et des grimaces ? Peut-être que ton silence abrite un savoir que nous perdons au moment où, en le changeant en mots, nous l’extériorisons. Par ce geste, sans doute un premier traumatisme se produit-il : la transformation d’une sensation en chose. Un éloignement du sentiment qui nous prive fatalement de lui. Dès lors, nous sommes à sa recherche, une quête constante, désespérée et passionnée. Chaque fois que nous écrivons à ce sujet, chaque fois que nous en parlons, nous distinguons son contenu tant désiré sans parvenir à le saisir. D’où la mélancolie de celui qui écrit. La mélancolie de l’écriture. Par conséquent, cache cette lettre aussitôt que tu la recevras et ne l’ouvre que pour ta satisfaction esthétique – le plaisir humain, pur et mystérieux, de se “gratter le coeur”, comme le dit Michaël V. Dandrieux. Ce n’est pas ici, ce n’est pas dans les lettres, que tu trouveras ce que tu cherches. -
Une immersion dans l’alvéole de la culture contemporaine révèle l’avènement d’un imaginaire inaugurant une synergie originale entre l’esprit et les sens, entre l’agir rationnel et la pensée magique. L’adoration des divers fétiches qui étayent nos sociétés comporte, pour chaque personne impliquée, un haut degré d’extase et d’envoûtement, mais aussi une conscience dotée d’une mémoire et d’un savoir hautement raffinés. Ainsi la technique, dans sa résonance ancestrale et dans ses séduisantes formes actuelles, est à nouveau le totem de la société en gestation, son objet de culte et sa référence symbolique de base. Son rêve et sa réalité la plus réelle possible.
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Le mode de vie luxueux encouragé par le capitalisme s’est enraciné dans l’imaginaire collectif au point d’en devenir consubstantiel, sautant progressivement l’intercession du modèle économique et de ses avatars. La culture contemporaine tend à abolir la séparation moderne entre l’individu et l’objet, entre le public et l’œuvre, et à conjuguer sous une même dimension,
un corps électronique aux contours holistiques, le sujet, l’œuvre et leur intermédiaire symbolique. Au creux des réseaux, dans l’absence de contenus caractérisant la socialité électronique avec son lot de bavardages insensés, d’émotions fugaces et de pratiques joueuses, comme dans l’esthétisation diffuse des substances et des comportements banals et éphémères, l’être-là fait irruption sur la scène comme l’œuvre sans œuvre de notre temps. -
L’invasion barbare ne correspond plus à une vague qui de l’extérieur attaquerait l’intérieur, mais à une série de bulles émergeant du centre de la vie sociétale en se propageant par contamination. C’est le contact tactile avec le barbare, le fait d’être effleuré par les éblouissements excessifs et fantastiques de son imaginaire, qui accélère l’implosion du monde moderne. Le barbare cesse ainsi d’être simplement l’agresseur extérieur au système, le sujet balbutiant ou incapable de s’exprimer, mais prend plutôt les traits d’un habile manipulateur de langages capable de ronger les barrières du langage social.